- 讲师:刘萍萍 / 谢楠
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Soyez prudent, je vous l'ordonne.
Julien voyait sa gaucherie, il avait de l'humeur. Il délibéra longtemps avec lui-même pour savoir s'il devait se facher de ce mot: Je vous l'ordonne . Il fut assez sot pour penser: elle pourrait me dire je l'ordonne, s'il s'agissait de quelque chose de relatif à l'éducation des enfants, mais en répondant à mon amour, elle suppose l'égalité. On ne peut aimer sans égalité ... et tout son esprit se perdit à faire des lieux communs sur l'égalité. Il se répétait avec colère ce vers de Corneille, que Mme Derville lui avait appris quelques jours auparavant:
................... L'amour
Fait les égalités et ne les cherche pas.
Julien s'obstinant à jouer le r?le d'un don Juan, lui qui de la vie n'avait eu de ma?tresse, il fut sot à mourir toute la journée. Il n'eut qu'une idée juste; ennuyé de lui et de Mme de Rênal, il voyait avec effroi s'avancer la soirée où il serait assis au jardin, à c?té d'elle et dans l'obscurité. Il dit à M. de Rênal qu'il allait à Verrières voir le curé; il partit après d?ner et ne rentra que dans la nuit.
A Verrières, Julien trouva M. Chélan occupé à déménager; il venait enfin d'être destitué, le vicaire Maslon le rempla?ait. Julien aida le bon curé, et il eut l'idée d'écrire à Fouqué que la vocation irrésistible qu'il se sentait pour le saint ministère l'avait empêché d'accepter d'abord ses offres obligeantes, mais qu'il venait de voir un tel exemple d'injustice, que peut-être il serait plus avantageux à son salut de ne pas entrer dans les ordres sacrés.
Julien s'applaudit de sa finesse à tirer parti de la destitution du curé de Verrières pour se laisser une porte ouverte et revenir au commerce, si dans son esprit la triste prudence l'emportait sur l'héro?sme. ?
CHAPITRE XV LE CHANT DU COQ
Amour en latin faict amor;
Or donc provient d'amour la mort,
Et, par avant, soulcy qui mord,
Deuil, plours, pièges, forfaitz, remords...
BLASON D'AMOUR.
Si Julien avait eu un peu de l'adresse qu'il se supposait si gratuitement, il e?t pu s'applaudir le lendemain de l'effet produit par son voyage à Verrières. Son absence avait fait oublier ses gaucheries. Ce jour-là encore, il fut assez maussade; sur le soir, une idée ridicule lui vint, et il la communiqua à Mme de Rênal, avec une rare intrépidité. A peine fut-on assis au jardin, que, sans attendre une obscurité suffisante, Julien approcha sa bouche de l'oreille de Mme de Rênal, et, au risque de la compromettre horriblement, il lui dit:
- Madame, cette nuit, à deux heures, j'irai dans votre chambre, je dois vous dire quelque chose.
Julien tremblait que sa demande ne f?t accordée; son r?le de séducteur lui pesait si horriblement que, s'il e?t pu suivre son penchant, il se f?t retiré dans sa chambre pour plusieurs jours, et n'e?t plus vu ces dames. Il comprenait que, par sa conduite savante de la veille, il avait gaté toutes les belles apparences du jour précédent, et ne savait réellement à quel saint se vouer.
Mme de Rênal répondit avec une indignation réelle, et nullement exagérée, à l'annonce impertinente que Julien osait lui faire. Il crut voir du mépris dans sa courte réponse. Il est s?r que dans cette réponse, prononcée fort bas, le mot fi donc avait paru. Sous prétexte de quelque chose à dire aux enfants, Julien alla dans leur chambre, et à son retour il se pla?a à c?té de Mme Derville et fort loin de Mme de Rênal. Il s'?ta ainsi toute possibilité de lui prendre la main. La conversation fut sérieuse, et Julien s'en tira fort bien, à quelques moments de silence près, pendant lesquels il se creusait la cervelle. Que ne puis-je inventer quelque belle manoeuvre, se disait-il, pour forcer Mme de Rênal à me rendre ces marques de tendresse non équivoques qui me faisaient croire, il y a trois jours, qu'elle était à moi!
Julien était extrêmement déconcerté de l'état presque désespéré où il avait mis ses affaires. Rien cependant ne l'e?t plus embarrassé que le succès.
Lorsqu'on se sépara à minuit, son pessimisme lui fit croire qu'il jouissait du mépris de Mme Derville, et que probablement il n'était guère mieux avec Mme de Rênal. De fort mauvaise humeur et très humilié, Julien ne dormit point. Il était à mille lieues de l'idée de renoncer à toute feinte, à tout projet, et de vivre au jour le jour avec Mme de Rênal, en se contentant comme un enfant du bonheur qu'apporterait chaque journée.
Il se fatigua le cerveau à inventer des manoeuvres savantes, un instant après, il les trouvait absurdes; il était en un mot fort malheureux, quand deux heures sonnèrent à l'horloge du chateau.
Ce bruit le réveilla comme le chant du coq réveilla saint Pierre. Il se vit au moment de l'événement le plus pénible. Il n'avait plus songé à sa proposition impertinente, depuis le moment où il l'avait faite; elle avait été si mal re?ue! Je lui ai dit que j'irais chez elle à deux heures, se dit-il en se levant, je puis être inexpérimenté et grossier comme il appartient au fils d'un paysan. Mme Derville me l'a fait assez entendre, mais du moins je ne serai pas faible. Julien avait raison de s'applaudir de son courage, jamais il ne s'était imposé une contrainte plus pénible. En ouvrant sa porte, il était tellement tremblant que ses genoux se dérobaient sous lui, et il fut forcé de s'appuyer contre le mur.
Il était sans souliers. Il alla écouter à la porte de M. de Rênal, dont il put distinguer le ronflement. Il en fut désolé. Il n'y avait donc plus de prétexte pour ne pas aller chez elle. Mais, grand Dieu! qu'y ferait-il? Il n'avait aucun projet, et quand il en aurait eu, il se sentait tellement troublé qu'il e?t été hors d'état de les suivre.
Enfin, souffrant plus mille fois que s'il e?t marché à la mort, il entra dans le petit corridor qui menait à la chambre de Mme de Rênal. Il ouvrit la porte d'une main tremblante et en faisant un bruit effroyable.
Il y avait de la lumière, une veilleuse br?lait sous la cheminée; il ne s'attendait pas à ce nouveau malheur. En le voyant entrer, Mme de Rênal se jeta vivement hors de son lit. Malheureux! s'écria-t-elle. Il y eut un peu de désordre. Julien oublia ses vains projets et revint à son r?le naturel; ne pas plaire à une femme si charmante lui parut le plus grand des malheurs. Il ne répondit à ses reproches qu'en se jetant à ses pieds, en embrassant ses genoux. Comme elle lui parlait avec une extrême dureté, il fondit en larmes.
Quelques heures après, quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rênal, on e?t pu dire, en style de roman, qu'il n'avait plus rien à désirer. En effet, il devait à l'amour qu'il avait inspiré et à l'impression imprévue qu'avaient produite sur lui des charmes séduisants, une victoire à laquelle ne l'e?t pas conduit toute son adresse si maladroite.
责编:刘卓
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