- 讲师:刘萍萍 / 谢楠
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La croissance du commerce international, l'intensification des flux de capitaux, les progrès des réseaux de communication et l'émergence d'entreprises globales nous ont amenés dans l'ère de la mondialisation. L'idée du village planétaire semble devenir de plus en plus une réalité. Avec l'entrée de la Chine dans l'OMC, le terme mondialisation est devenu à la mode en Chine, fait fureur dans les média, domine dans les thématiques des colloques et figure sur les titres des ouvrages. On parle de "la jointure au rail international" (l'adoption des normes internationales), de la concurrence économique, du marché mondial, de l'ISO 9000, etc.. Enthousiasmés par la mondialisation, on n'a pas encore le temps de se soucier de ce que signifie exactement le terme et ses implications. On y voit vaguement la modernisation du pays accélérée par la convergence vers l'international en oubliant que cet international est en fait marqué du sceau de la culture occidentale et notamment de la culture américaine, que l'OMC est d'inspiration américaine et que beaucoup de normes dites internationales sont en réalité des produits des pays industrialisés, imprégnés d'esprit occidental. La Chine, en allant vers la mondialisation, s'expose à un paradoxe incontournable: elle se voit obligée de s'assimiler à des critères basés sur une culture très différente de la sienne.
Si beaucoup de Chinois ne prennent pas clairement conscience de l'implication culturelle de la mondialisation, celle-ci est, pour nombre de chercheurs occidentaux, notamment ceux en sociologie et en management comparé, sans frontières par définition, car l'internationalisation est censée avoir pour vocation d'abolir les différences entre pays, voire entre continents, d'unifier les institutions et les mœurs, de faire abandonner des habitudes locales au profit du One best way, modèle unique, à l'origine duquel se trouve l'ingénieur Frederick Taylor (1856-1915), promoteur de l'organisation dite scientifique du travail ou taylorisme. Il conviendrait, en vertu du taylorisme, de diriger de la même manière toute entreprise, qu'elle soit française, allemande, chinoise, indienne ou nigériane, sans tenir compte de la civilisation de son personnel. Seulement, on ne prend pas la peine de préciser que ce modèle, considéré comme le seul à être rationnel, donc universel, est made in America. En fait, ce concept de "rationalité", qui pourrait nous faire croire à une transparence objective et neutre de la modernité, est lui-même une expression culturelle. "En cela il n'y a pas d'objectivité, de 'neutralité culturelle', mais au contraire l'expression presque pure d'un certain modèle, le modèle des sociétés 'post-industrielles'. Ce dernier a tendance, comme l'indique à plusieurs reprises M. Sahlins, à occulter sa propre 'culturalité' sous le voile d'une apparente rationalité, dénégation de ses mécanismes de reproduction et d'évolution" (Bosche, 1993: 64). Sous l'enseigne de la mondialisation, l'Occident est en train de vendre ses valeurs culturelles.
Cet ethnocentrisme occidental est encore plus flagrant dans la définition donnée par l'Américain S.N. Eisenstadt: "Historiquement, la modernisation est le processus de changement vers ces types de systèmes sociaux, économiques et politiques qui se sont développés en Europe occidentale et en Amérique du Nord depuis le XVIIe siècle jusqu'au XIXe siècle et se sont ensuite répandus dans d'autres pays" (in Laburthe-Tolra et Warnier, 1993: 6). Cette définition suppose non seulement que la modernité touche tous les aspects de l'existence: organisation sociale et politique, famille, parenté, croyances, économie, mais aussi qu'elle possède un modèle original: celui de l'Europe et de l'Amérique du Nord, centre à partir duquel se diffusent des innovations modernes au même titre que le Croissant fertile au Néolithique, et l'Egypte dans l'Antiquité.
Mais cette théorie de la modernité est aujourd'hui mise en cause, car au fil du temps, la perspective d'un monde régi par une culture planétaire se révèle problématique, ainsi que le souligne Ph. D'Iribarne, auteur de La logique de l'honneur: "Il apparaît que l'unification des mœurs n'est souvent que superficielle, que l'adoption des jeans et du Coca-Cola peut aller de pair avec une défense virulente de maints particularismes. […] Plus l'internationalisation devient réalité, plus il est clair que les cultures demeurent" (1998: 5) .
Des analyses critiques ont souligné des incohérences de cette théorie de la convergence issue du modèle rationnel de l'Occident industrialisé. Une des erreurs est de confondre le monde de la nature avec celui de l'homme comme l'a mis en évidence F. Trompenaars: "Une hypothèse souvent admise comme évidence consiste à dire que la réalité sociale est'ailleurs', séparée du gestionnaire ou du chercheur, de la même façon que la matière d'une expérience de physique est'ailleurs'" (1994: 47). Or, les objets inanimés des physiciens ne parlent pas et ne se définissent pas eux-mêmes. Dans l'univers de l'homme cependant, il en va tout à fait différemment. Quand nous nous retrouvons face à des gens appartenant à d'autres systèmes culturels, ils ont tout comme nous un système complet de définitions du monde qui relève pour eux du sens commun.
2. Les "évidences invisibles"
Avec ce système de définitions, nous en venons au cœur de notre problématique: la culture. Les anthropologues Kluckhorn et Strodbeck ont recensé au moins 164 définitions du mot. Il nous semble nécessaire de distinguer deux aspects de la culture: sa fonction et son contenu. Pour son aspect fonctionnel, nous acceptons la définition proposée par G. Hofstede: "La programmation collective de l'esprit humain qui permet de distinguer les membres d'une catégorie d'hommes par rapport à une autre" (in Gauthey et Xardel, 1990: 18). Ainsi, la culture détermine les manières de penser, de sentir, de communiquer, de produire des objets concrets. Mais qu'est-ce qui, dans la culture, joue ce rôle agissant? Nous touchons là à l'essence de la culture. Une culture correspond à une "toile de significations" selon l'expression de Max Weber, c'est-à-dire, selon Ph. D'Iribarne, à un ensemble de repères grâce auxquels une situation prend sens aux yeux d'une communauté d'individus (in Chevrier, 2000: 182). La culture n'est donc pas une chose, une substance qui a elle-même une réalité physique, mais un ensemble de significations que les membres d'un groupe ont en commun. E. T. Hall distingue trois types de règles constituant la culture et déterminant les comportements des hommes: les règles informelles, les règles formelles et les règles techniques (in Gauthey et Xardel, 1990: 21-22). Les règles techniques sont des règles de fonctionnement explicites comme les instructions techniques d'un mécanisme ou le règlement intérieur d'une entreprise. Ce sont des marques évidentes, faciles à appréhender, relativement aisées à changer, à la différence des règles formelles et informelles. Les règles informelles constituent la partie immergée de l'iceberg. Particulièrement nombreuses et subtiles, elles se situent à un niveau inconscient. Les règles formelles, quant à elles, se situent à mi-chemin entre les règles informelles et les règles techniques et sont décodables consciemment. Nous nous intéressons ici en particulier aux règles informelles dont le fonctionnement échappe le plus souvent à notre conscience et qui constituent l'espace le plus propice aux malentendus interculturels. Car ces règles, nous les avons apprises dès notre naissance, au travers des gestes, des paroles et des soins de ceux qui nous ont entourés, dans nos conversations avec les autres, dans nos jeux avec les enfants du voisinage. En un mot, nous avons acquis cette partie de la culture tôt dans l'enfance, dans un environnement nécessairement social et culturel et de la même manière que nous avons appris à parler, c'est-à-dire sans savoir comment. Mais elles constituent les racines de nos actions et sous-tendent tous nos échanges. Selon R. Carroll, l'auteur du remarquable ouvrage Evidences invisibles, "Il s'agit des prémisses dont nous tirons constamment nos conclusions. Ces prémisses, nous n'en avons pas conscience parce qu'elles sont, pour nous, des évidences. C'est tout ce qui, pour nous, 'va de soi', et est donc transparent" (1987: 18). Dans le même sens, F. Trompenaars utilise l'expression de postulat de base lié aux problèmes de la vie quotidienne: "Un problème dont la solution est immédiatement et toujours apportée disparaît de nos consciences. Cela devient un postulat de base, un axiome sous-jacent. Vous ne réalisez que vous avez besoin d'oxygène que lorsque vous essayez de vous débarrasser d'un hoquet et que vous retenez votre souffle aussi longtemps que vous le pouvez" (1994: 31). Ainsi, un postulat de base est un présupposé absolu sur la vie, qui doit être pris comme réalité admise et ne se discute pas, sous peine de provoquer des irritations.
Ces évidences constituent un champ d'investigations interculturelles difficile mais fascinant justement parce qu'elles sont invisibles. Lors de contacts entre deux personnes de cultures différentes, l'une agit selon ses évidences, c'est-à-dire de la façon qui lui est naturelle, l'autre ayant aussi ses évidences se comporte de la manière qu'elle trouve la plus naturelle. Le seul problème, c'est que ces évidences ne coïncident pas. Et comme nous avons tendance à considérer que notre manière de faire est universelle, lorsque l'autre n'agit pas comme nous et qu'il y a conflit, nous avons tendance à attribuer notre frustration à un défaut de sa personnalité ou à sa mauvaise volonté et nous pouvons émettre des phrases du genre: "Les Français sont…". C'est toujours l'étranger qui est bizarre, ce dont témoignent les termes étranger en français et stranger en anglais: est étrange celui qui vient d'un groupe culturel différent. A cet égard, la rencontre entre cultures offre un terrain d'observation privilégié pour pénétrer les logiques des uns et des autres. En effet, confronté à d'autres évidences, ce qui va de soi devient problématique, ce qui est familier cesse de l'être. La fameuse phrase de Pascal, "vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà" prend ici tout son sens.
3. L'élucidation des évidences
La culture est sous-jacente. Personne ne se soucie d'en parler, car nous baignons au sein de nos évidences qui sont tellement naturelles que nous n'y prêtons même pas attention. Or, notre culture n'est pas la seule au monde, et dès qu'il y a contact avec une autre culture, il y a possibilité de conflit au niveau de ces évidences, car nous sommes amenés à regarder le monde avec nos propres lunettes, à interpréter à notre manière un geste qui s'inscrit dans une autre manière de faire ce qui exige un autre filtre et à traiter une opacité comme si c'était une transparence (Carroll, 1987: 28). C'est pour cette raison qu'un effort d'analyse culturelle s'avère indispensable dans la rencontre des cultures. Hall souligne cette intervention extérieure lorsqu'il parle de l'inconscient culturel: "Comme l'inconscient de Freud, l'inconscient culturel est soigneusement caché, et comme les patients de Freud, nous sommes à jamais mus par des mécanismes qui ne peuvent être examinés sans aide extérieure."(1979: 151).
Depuis des siècles, des intellectuels ont beaucoup écrit sur la diversité des institutions et des mœurs. Mais souvent, les cultures ont été ramenées à une énumération de traits culturels ou à une caricature superficielle partant du point de vue d'un spectateur qui trouve différent un trait de conduite qui n'est pas le sien. Les investigations approfondies, comme celles menées par Hall ou par Carroll, sont rares. Beaucoup d'œuvres portant sur les différences culturelles contribuent plus à renforcer les stéréotypes qu'à les élucider. De grandes enquêtes comparatives, comme celles dirigées par G. Hofstede (1987), ont conduit à caractériser chaque culture par quelques chiffres, mais les portraits obtenus restent bien schématiques (D'Iribarne, 1998: 7). Il nous semble primordial, pour comprendre les différences culturelles, d'aller chercher profondément pour creuser les évidences des uns et des autres et décrypter les univers de sens propres à l'une et à l'autre cultures.
Cette analyse culturelle n'est pas seulement l'affaire des chercheurs en interculturel mais aussi celle de tous ceux qui entrent en contact avec des ressortissants d'une autre culture et qui désirent pénétrer dans leur univers logique. Cette pratique consiste à relativiser nos propres vérités et à prendre conscience des "évidences" au sein desquelles nous vivons nous-mêmes. Cet exercice nous amène en même temps à accepter les vérités de l'autre et à transformer en "normal" ce qui, chez l'autre, nous paraît au premier abord "bizarre"; qu'il faut regarder les comportements de l'Autre non pas de notre point de vue mais de son propre point de vue afin de trouver la rationalité qui se trouve derrière des comportements apparemment "irrationnels" pour aboutir à la conclusion que finalement il a raison tout comme nous avons raison. Seulement, on n'a pas raison de la même manière. De ce point de vue, la clé, dans les contacts interculturels, n'est pas "A Rome, il faut faire comme les Romains", ce qui est d'ailleurs une illusion, mais plutôt « A Rome, il faut comprendre les Romains". Cette gymnastique d'élucidation de nos propres évidences et de celles de l'autre constitue un enrichissement de notre esprit, élargissant notre horizon, nous fournissant un instrument de plus dans notre appréhension du monde mystérieux qui nous entoure, nous donnant accès à une nouvelle sorte de plaisir et nous permettant enfin d'intéressantes découvertes autant sur nous que sur l'autre, autant sur notre culture que sur celle de l'autre (Carroll, 1987: 200). La compréhension de l'autre est à la fois un remède pour toute blessure réelle et une sorte de prévention contre toute blessure possible dans les rapports interculturels. Elle alimente la dynamique de confiance mutuelle indispensable à toute coopération entre hommes.
4. Les méthodes de recherche
En 1997, il s'est formé à Canton une équipe de chercheurs dans le cadre du Centre de Recherches Sur l'Interculturel (CERSI), unité de recherche au sein de l'Université des Etudes Etrangères du Guangdong. Cette équipe, animée principalement par Zheng Lihua, professeur de sociolinguistique et Dominique Desjeux, professeur d'anthropologie culturelle à la Sorbonne (Paris 5), rassemble des chercheurs chinois et français, de formations différentes (linguistique, sociologie, anthropologie, gestion, psychologie sociale). Elle assume une double mission: réaliser des recherches et former les futurs chercheurs. La diversité des origines universitaires et la composition interdisciplinaire du groupe lui donnent l'avantage de la complémentarité dans ses recherches, d'avoir accès plus facilement aux terrains ainsi que la possibilité de confrontation permanente des points de vue.
Les textes regroupés dans ce livre sont tous écrits par les membres de notre équipe, y compris les jeunes chercheurs. Ils sont tirés, pour la plupart, des enquêtes que nous avons réalisées à Canton entre 1997 et 2002.
L'objectif principal de l'équipe n'est pas de comparer la culture chinoise à la culture française, mais de cerner les espaces dans lesquels peuvent se glisser facilement des malentendus culturels. Et pour nous, ces espaces sont constitués des évidences ou des présupposés que nous portons en nous sans le savoir et qui sont souvent à l'origine d'irritations et de blessures sans que les acteurs en prennent conscience. Afin d'explorer ces éléments implicites, nous avons choisi un terrain d'investigation, qui n'est pas celui de la philosophie, de l'histoire ou de la littérature comme le font souvent les spécialistes en sinologie, mais celui de la vie quotidienne. Notre idée est très simple: c'est dans la vie de tous les jours que les solutions sont les plus spontanées, donc les plus éloignées de notre conscience ; ce sont les événements les plus ordinaires qui sont les plus révélateurs des postulats fondamentaux acquis dans l'enfance et ancrés au plus profond de notre esprit ; et finalement, c'est dans les endroits les plus connus et les plus liés à l'existence de l'homme (repas, sommeil, travail, relations proches, temps, espace, etc.) que les malentendus culturels ont le plus de chance de surgir, car c'est là où nous nous sentons le plus en sécurité et donc le moins sur nos gardes, tant les circonstances nous sont familières et les gestes automatiques.
L'élucidation des évidences nous a conduits, en ce qui concerne la méthodologie, à utiliser une approche qualitative qui consiste non pas à décrire les communautés selon une méthode statistique, comme celle utilisée par G. Hofstede, mais à saisir les systèmes de sens dans lesquels s'inscrivent les peuples.
Un premier angle a été de reconstruire les représentations vécues des acteurs chinois. Nous avons travaillé sur des notions de base telles que famille, amour, amitié, confiance, romantisme, individualisme, argent, entreprise, autorité, décision, client, produit, service, etc., comme analyseurs de la vie quotidienne. On suppose facilement qu'elles ont un sens commun au nom de l'universalité des sentiments humains, surtout lorsqu'on trouve des termes équivalents dans les deux langues. Elles peuvent cependant avoir des significations très différentes d'une culture à l'autre, voire affirmer des vérités contraires. Ainsi, les lecteurs trouveront dans ce recueil des analyses portant sur les dimensions culturelles des concepts de temps et d'espace (cf. chapitres 2-5,) sur les représentations de la méfiance et de la confiance (cf. chapitre 7), sur l'image romantique que les Chinois se font des Français (cf. chapitres 17-20), ainsi que sur les significations sociales de l'écriture (cf. chapitre 11). Ces analyses nous révèlent que de profondes différences culturelles peuvent exister non seulement dans les significations attachées aux mots, mais aussi dans celles associées à des objets et à des comportements quant aux critères de conformité sociale. Les normes du pur et de l'impur, du prescrit et de l'interdit, du légitime et de l'illégitime, du juste et de l'injuste, de ce qui élève et de ce qui abaisse varient en fonction des sociétés.
Une autre pratique de l'analyse culturelle consiste à élucider des prémisses culturelles à travers les discours sur l'autre culture, qu'ils soient stéréotypés ou non. Comme nous observons le monde à travers notre filtre culturel, la vision que nous avons de l'Autre nous renvoie notre propre image, dans un jeu de miroir subtil. Un jugement portant sur l'Autre en dit davantage sur nous-mêmes que sur lui, ainsi que le souligne F. Trompenaars: "Toute opinion exprimée par nous, concernant la culture observable, est généralement plus révélatrice sur nous-mêmes et sur nos origines que sur le groupe social jugé par nous" (1994: 54). Ainsi, quand un jeune étudiant chinois dit: "Si je pouvais choisir ma future femme parmi les Européennes, je choisirais une Anglaise car les Anglaises sont gracieuses et douces. Les Françaises sont trop séductrices pour être des épouses. Elles sont faites pour êtres de bonnes amantes. Quant aux Allemandes, elles sont trop grandes, et veulent toujours dépasser les hommes, ce qui constitue une menace morale pour nous en tant qu'hommes", il exprime certes une opinion sur les Européennes, mais cette opinion est basée sur un de ses présupposés culturels qu'il considère comme une vérité: "L'épouse idéale doit être douce et de tempérament raffiné ; les femmes trop séduisantes sont plus destinées à êtres amantes qu'épouses ; les femmes ne doivent pas être trop grandes et ne doivent pas toujours chercher à dépasser les hommes; normalement, l'homme est plus fort que la femme". Les discours que les Chinois portent sur les Européens et les produits européens présentés dans ce recueil (cf. chapitres 17-21) nous renseignent autant sur les images qu'ils s'en font que sur les valeurs culturelles chinoises et sur les conceptions qu'ils se font de la consommation.
Une troisième méthode est de centrer le regard sur les pratiques, que ce soit par observation directe ou par description au travers d'interviews. Les pratiques peuvent nous aider à élucider des évidences cachées parce qu' "elles sont la manifestation de manières spécifiques d'articuler le sens et l'action et qu'elles mettent en oeuvre la matière selon un schéma de significations précis, propre à une communauté" (Chevrier: 182). Dans nos enquêtes, nous nous sommes concentrés sur la recherche de la diversité des comportements ou des occurrences. Une occurrence signifie pour nous la mise en évidence de l'existence d'une pratique ou d'un phénomène social. Ce qui nous intéresse dans l'apparition d'une occurrence, c'est sa "significativité sociale", sa capacité à révéler un mécanisme social – des interactions entre acteurs, des pratiques non connues ou une dimension symbolique – invisible avec l'outil statistique (Desjeux et al., 1998: 261). Les enquêtes que les lecteurs trouveront ici (sur les pratiques de l'alimentation au chapitre 6, sur celles du bricolage au chapitre 8, sur celles de la mémoire au chapitre 9, sur celles de l'écriture aux chapitres 10 et 11, sur celles du management aux chapitres 12-15, et sur celles de l'achat des produits européens au chapitre 21) nous montrent que les pratiques, souvent, rapprochent les cultures qu'un discours trop culturaliste a tendance à séparer les unes des autres, établissant ainsi des oppositions qui correspondent moins à la réalité qu'aux stéréotypes des chercheurs ou des observateurs, emprisonnés eux-mêmes dans leur schéma culturel. Elles confirment d'ailleurs les affirmations de F. Kluckhohn et F.L. Strodtbeck selon lesquels il existe un nombre limité de problèmes généraux de la vie auxquels tous les groupes sociaux sont confrontés, que ces derniers élaborent toutes sortes de solutions possibles mais qu'ils ont un ordre de préférence qui diffère (in Trompenaars, 1994: 59-60). Pour nos auteurs, ce sont ces préférences qui font que des solutions pour résoudre les problèmes de base de la vie humaine sont choisies plutôt que d'autres. C'est tout l'intérêt de la recherche anthropologique que de comprendre la nature de ces préférences et leur organisation systématique, et c'est aussi cela la culture (in Bosche, 1993: 61).
5. Les recherches interculturelles à Canton
La première mission de notre équipe sino-française consiste donc à faire des enquêtes. La plupart d'entre elles ont été réalisées en réponse à des demandes émanant soit d'entreprises, soit d'institutions administratives ou avec leur appui. Citons par exemple: Comprendre la construction sociale de la méfiance entre les entreprises et les services de la Poste (réalisée pour la Mission de la Recherche, Direction de la Stratégie et de la Planification de la Poste, 1998), Les pratiques et les représentations de la mémoire à Guangzhou (réalisée à la demande de Beaufour Ipsen International, 1998), Les images des Européens chez les Chinois et leurs implications sur la consommation (étude financée par l'Union européenne, 1999), Le management interculturel sino-français (étude financée par le gouvernement de la Province du Guangdong, 2000), L'écriture et la certification ISO 9000 en Chine (étude en cours financée par le gouvernement de la Province du Guangdong, 2001). Ces enquêtes, en même temps qu'elles nous ont éclairé sur des mécanismes sociaux implicites, ont apporté des réponses aux questions des demandeurs et des solutions aux problèmes posés par le monde réel. Cette utilité sociale nous réconforte car pendant longtemps, on n'a pas su à quoi pouvaient servir les sciences sociales. Par ailleurs, c'est de la confrontation entre les faits sociaux et la capacité de la théorie à en rendre compte que provient alors l'intérêt de la théorie (Boutet et Gardin, 2001: 99). Depuis des années, nous essayons de construire un trépied qui rassemble l'entreprise, la recherche et l'université et qui fonctionne de la façon suivante: les entreprises nous apportent des projets de recherche ou nous leur en proposons ; les résultats des enquêtes alimentent les projets de publication ou servent de données aux thèses ou aux mémoires des étudiants ; les connaissances produites par les recherches enrichissent les cours à l'université et préparent mieux les étudiants à la vie de l'entreprise ; en retour l'expérience des enquêtes nous donne plus de légitimité pour accrocher d'autres projets de recherche auprès des entreprises; et ainsi de suite.
Une deuxième activité principale de l'équipe est d'organiser des colloques. En mai 1998, en collaboration avec le Consulat général de France à Canton, nous avons organisé le premier séminaire interculturel sino-français de Canton. De ce premier séminaire est sorti un recueil des actes Chine-France. Approches interculturelles en économie, littérature, pédagogie, philosophie et sciences humaines publié en France (L'Harmattan, 2000). En juin 2000, un deuxième séminaire interculturel a eu lieu, organisé conjointement par le Consulat général de France à Canton, la Chambre de Commerce et d'Industrie Française en Chine et nous-mêmes. Ce deuxième séminaire a donné lieu à la publication des actes sous le titre Entreprise et communication sortis à Hongkong (Maison d'Editions Quaille, 2001). L'une des originalités de ces séminaires, c'est qu'ils visaient un double objectif, à la fois académique et pratique en orientant les thématiques vers des problèmes interculturels rencontrés au jour le jour dans les activités économiques comme le commerce, le management, le marketing ou encore la négociation, thématiques qui supposent des interactions entre Chinois et Français. Une deuxième originalité, c'est que les séminaires ont réuni différents interlocuteurs: participants chinois et français d'une part et universitaires et entrepreneurs d'autre part, qui appartiennent à des univers entre lesquels le dialogue n'est pas toujours facile, aussi bien en Chine qu'en France. Le troisième séminaire interculturel sino-français de Canton Chine et mondialisation est prévu pour les 31 mai, 1er et 2 juin 2002.
Une troisième activité est d'animer des sessions de stage de formation interculturelle destinées à l'encadrement des entreprises. Ainsi, les cadres d'EDF travaillant à la Centrale nucléaire de Shenzhen sont-ils venus à l'Université où ils ont suivi, pendant deux semaines, des conférences sur la culture chinoise au quotidien; ils ont discuté avec les professeurs et les étudiants chinois ; ils ont fait du sport avec les étudiants, visité le dortoir de ces derniers, pris des repas dans le restaurant universitaire ; ils sont allés chez les étudiants habitant en ville et dîné avec leurs familles, etc., toutes sortes d'activités visant à les immerger dans un environnement entièrement chinois. Cette formation s'est étendue par la suite aux épouses des cadres français. Elle a été bien appréciée par les participants qui y ont vu non seulement un enrichissement intellectuel mais aussi et surtout une sensibilisation aux différences culturelles, une mise en appétit pour la culture chinoise et l'établissement d'une disposition psychologique favorable à la coopération avec les Chinois. Ainsi que l'a écrit D. Avenal, représentant général d'EDF à la Centrale: "Chacun a pu partager avec tous les professeurs et étudiants, une réelle expérience humaine, faite de simplicité, de gentillesse, de curiosité réciproque, de disponibilité. Le secret de toute réussite réside bel et bien dans la convivialité et le respect de l'autre permettant à chacun de 'gagner de la face' comme disent les Chinois" (Zheng et Desjeux, 2000: 284).
Enfin, la dernière activité, à titre plutôt personnel, est de donner des cours ou de faire des conférences à l'université ou pour le milieu de l'entreprise. Ainsi, Zheng Lihua, hormis les deux cours permanents, Communication interculturelle et Management interculturel, qu'il assure auprès de ses étudiants, a donné des cours pendant un mois aux étudiants du DESS Affaires Chine de l'Université Lyon 2. De plus, il est intervenu en tant que conférencier à la Chambre de Commerce et d'Industrie française de Shanghaï et de Canton, au Village des experts de Shenzhen, ainsi que dans plusieurs universités françaises (Paris 5, Grenoble 3, Marseille 1). Dominique Desjeux, quant à lui, vient tous les ans passer un mois à Canton pour faire un séminaire à l'intention des étudiants de maîtrise du Département de Français et les former à la méthodologie de la recherche interculturelle.
责编:李亚林
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